La débâcle des conservateurs en Angleterre

Les élections locales du 2 mai en Angleterre ont constitué le dernier test politique avant les élections générales attendues à l’automne en Grande-Bretagne. Ces élections ont concerné 2000 sièges de conseillers municipaux ainsi que l’élection directe des maires de 10 régions importantes, dont les plus grandes villes : Londres, Manchester, Liverpool et la région des West Midlands qui comprend Birmingham. Les résultats ont été catastrophiques pour le Parti conservateur au pouvoir, qui n’a remporté qu’une mairie sur dix et a perdu 40 % des sièges locaux qu’il détenait auparavant. Même si ces élections étaient censées porter principalement sur des questions locales, il était clair que la profonde impopularité du gouvernement conservateur en était le principal moteur. En extrapolant ces résultats au niveau national, les conservateurs ne devraient obtenir que 25 % du total des voix et perdraient largement les prochaines élections générales (en 2019 ils avaient obtenu 43,6% des voix).

L’impopularité du gouvernement est dû à de nombreux facteurs, notamment une suite de scandales, tant financiers que sexuels, de profondes divisions au sein du Parti conservateur, des politiques qui donnent des ammunitions aux humoristes, l’incompétence économique et une vision d’élite qui ne répond pas aux priorités populaires. Le Premier ministre Rishi Sunak a l’une des notes les plus négatives des récents premiers ministres dans les sondages. De la période avant Sunak, les électeurs se souviennent des fêtes organisées dans le bureau de Boris Johnson lorsqu’il était Premier ministre pendant les confinements de Covid, pour lesquelles il avait été condamné à une amende par la police, et de l’interlude absurde du mandat de Liz Truss, lorsqu’un journal national avait parié « qui de Truss ou d’une laitue durerait le plus longtemps », et la laitue avait gagné. Symptomatique de l’attitude de l’élite conservatrice, lorsqu’il était Premier ministre, Johnson avait introduit l’obligation pour les électeurs de présenter une pièce d’identité avec photo (ce qui n’était pas obligatoire auparavant et visait clairement à rendre plus difficile le vote des pauvres et des plus vulnérables) ; mais lorsque Johnson est allé voter jeudi dernier, il a été refoulé parce qu’il n’avait pas sa pièce d’identité et il a dû rentrer chez lui pour la récupérer. Les règles sont pour les petits gens, pas pour les dirigeants.

Les conservateurs sont également concurrencés, sur leur droite, par le Reform Party, un parti nationaliste qui leur a presque volé la deuxième place lors d’une élection parlementaire partielle (que les conservateurs ont lourdement perdue face aux travaillistes), et qui capte une part considérable de l’électorat conservateur dans les sondages d’opinion. Cela tire le Parti conservateur (encore) plus à droite sur des questions telles que la migration, la politique sociale, la fiscalité et la préférence nationale.

Le principal bénéficiaire de la déroute des conservateurs est le Parti travailliste, mais là non plus, tout ne va pas bien. Il y a peu d’enthousiasme du public pour le Parti travailliste, qui est incolore et manque d’inspiration. Ses politiques ne sont souvent que des versions plus modérées de celles des conservateurs. En particulier, les travaillistes se montrent peu intéressés par les problèmes d’inégalité extrême qui affectent la Grande-Bretagne comme tant d’autres pays. L’interprétation travailliste de ces élections était la reconquête des zones du « mur rouge » (Red Wall), c’est-à-dire des régions avec une présence importante de la classe ouvrière, qui avaient voté pour le Brexit et étaient passés aux Conservateurs à l’époque. Mais en réalité, les Libéraux-Démocrates (Lib Dems) et les Verts (Green Party) ont récupéré presque autant de sièges perdus par les conservateurs que les travaillistes.

Sadiq Khan, réélu maire travailliste de Londres pour un troisième mandat, fait exception, mettant en œuvre des politiques progressistes très populaires, mais ailleurs, Keir Starmer, le leader du Parti et le probable prochain Premier ministre, a systématiquement éliminé les éléments les plus progressistes du Parti travailliste (notamment l’ancien leader Jeremy Corbyn). Sa position sur Gaza, où il a refusé les appels en faveur d’un cessez-le-feu, a conduit à des réactions négatives et à une perte substantielle de voix dans les zones à forte population musulmane, qui ont souvent voté pour des candidats indépendants plutôt que pour les travaillistes (20 % à Birmingham). Gaza a donc eu une influence sur ces élections locales.

Selon les projections actuelles le Parti travailliste sortirait des prochaines élections générales le plus grand parti, mais il pourrait ne pas atteindre la majorité absolue au Parlement. Néanmoins, le système majoritaire à un tour désavantage gravement les petits partis, de sorte que les avancées des Verts, des Libéraux-Démocrates et d’autres pourraient s’estomper d’ici les élections générales. En fait, depuis la Deuxième Guerre Mondiale, le pouvoir a principalement alterné entre conservateurs et travaillistes au niveau national, et les tentatives visant à mettre fin à leur hégémonie ont toujours échoué. Cela limite considérablement les choix réels offerts aux électeurs et constitue l’une des raisons du désintérêt progressif pour la politique, en particulier parmi les jeunes.

Ces élections ont concerné l’Angleterre, et non le Pays de Galles, l’Écosse ou l’Irlande du Nord, qui ont chacun leur propre configuration politique. La politique écossaise en particulier reflète une crise profonde au sein du Parti nationaliste écossais, divisé entre progressistes et conservateurs sociaux, et confronté à un scandale financier, qui pourrait finalement profiter aux travaillistes et faire reculer la cause de l’indépendance écossaise.

Les mois à venir verront probablement le gouvernement conservateur tenter de faire la une des journaux avec des politiques très médiatisées telles que l’envoi de migrants illégaux au Rwanda, l’augmentation des dépenses militaires et la promesse de réduire les impôts, tout en espérant qu’un scandale sape l’opposition. Mais leur crédibilité et leur réputation morale sont affaiblies, et même si les électeurs britanniques ont fait des choix bizarres dans le passé, les résultats de ces élections locales confortent l’opinion largement répandue selon laquelle les Conservateurs ne reviendront pas au pouvoir.

Gerry Rodgers mai 2024

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